Keep it simple, keep it cool

Si nous avions été dans un autre univers, au delà de la zone de l’élargissement, peut-être, Jack Patrick Ford aurait été plus où moins le même. Un être calme, réfléchi, à la recherche de la paix, de la justice et de la compréhension mutuelle des uns et des autres. En d’autres termes, il aurait pu concourir à un concours de Miss, tant sa vision de la vie peut paraître simpliste.

Si le  Jack Patrick Ford que nous connaissons aujourd’hui avait eu une devise, ce serait Ordre, Ecoute, Efficacité.

En attendant, le Jack, Patrick, Ford que nous pouvons croiser aujourd’hui au comité des Sages, au centre de Soins, ou encore au niveau du parc où s’amusent les enfants est quelqu’un de très simple qui accepte depuis toujours le destin que d’autres ont choisi pour lui et votant à son tour pour le futur d’autres enfants, sans se poser la question du bien, du mal ou du libre arbitre qui pour lui, comme pour tant d’autres sur Alavus, n’existent même pas.

Toute sa vie Jack a toujours apprécié ses parents qui lui ont toujours montré le bon exemple en grandissant. Sa mère, Macy Ford, était mère porteuse à l’époque, tandis que son père, Tomas Ford était chercheur au centre de soin. Autant vous dire que leur couple était totalement compatible. Son enfance s’est ainsi passée dans les règles de l’art. Avoir comme exemple des parents qui excellaient dans leur place dans la communauté lui a toujours donné envie de faire de même. De se donner à fond et d’être reconnaissant à chaque cérémonie. De travailler son esprit et son corps afin d’être toujours prêt pour accueillir ce que le Conseil aurait décidé pour lui.

Grandissant dans cette optique, il est compréhensible que notre jeune homme ne ce soit jamais permis d’imaginer un métier qui pourrait lui convenir mieux qu’un autre : qui était-il pour se permettre un souhait si la communauté était là pour lui désigner un autre chemin ? Il ne voulait pas se permettre une perte de temps et d’énergie inutiles.

Pour son année de bénévolat, lorsqu’il eut 11 ans, Jack choisit donc de suivre les traces de son père, en l’accompagnant au centre de soins. C’est là bas qu’il rencontra Douglas Andersen, l’un des dix sages qui siégeaient à l’époque. Ce dernier venait d’apprendre qu’il était atteint d’une grave maladie, diagnostiquée par le père de Jack un peu plus tôt. La tache qui fut assignée au jeune garçon fut entre autres de prendre soin du vieux sage lorsque ce dernier venait se faire traiter au centre. Comme pour chacune des choses qui lui étaient données à faire, Jack y mit le plus grand soin et en vint à se faire apprécier de l’homme dont la compagnie ne lui déplaisait pas non plus.
A la cérémonie de ses douze ans, lors de la désignation des métiers, il fut ainsi désigné pour succéder à Douglas lorsque celui-ci serait « parti ». Il accepta cette décision avec le même flegme dont il faisait preuve pour tout et entama sa formation ; c’est d’ailleurs à cette époque qu’il fit le rapprochement entre cette décision et les nombreuses discussions qu’il avait eues avec l’homme qu’il était destiné à remplacer. Ce dernier avait sans doute vu en lui les aptitudes adéquates à son métier.

Les années passèrent et Jack avança dans sa carrière, consciencieusement. Tous les jours, il se lève peu après l’aube pour faire ses exercices de gymnastique, les mêmes que ceux, obligatoires, qu’on leur faisait faire à l’école. Après une demi heure, il se lave, se rase, et s’habille impeccablement pour aller travailler à vélo. Sauf un matin, lorsqu’il eut 23 ans. Il fut traversé par une image, si réelle, qu’il avait l’impression qu’il aurait pu la toucher. Une grande étendue d’eau, du sable à perte de vue, des cris d’oiseaux, qu’il identifia comme des mouettes. Un bleu immense et un brun chaleureux. Et au ciel, d’un bleu plus clair, plus vif, sans le moindre nuage, brillait un soleil comme il n’en avait jamais vu. Il prit cette information comme une claque, si forte, si surprenante, qu’il en tomba de son vélo, et dû aller au centre de soins malgré ses protestations.
Il s’agissait là de son premier souvenir de l’Ailleurs, celui que les sages, dont il faisait partie depuis des années déjà. En milieu de journée, il apprit la nouvelle : le nouveau Dépositaire s’était échappé.
Ce fut la première fois que son monde si parfait s’ébranla… Et il se jura de ne plus le laisser bouger, étouffant cette voix étrange, au fond de lui, cette voix qu’il ne connaissait pas, qui lui chuchotait sans cesse qu’il y avait sans doute, dans cet ailleurs étrange, quelque chose de merveilleux qu’il serait intéressant  de découvrir.

Plus que jamais, il se plongea dans son travail. Lui qui, il est vrai, en dépit de son parcours impeccable, n’avait jamais songé à avoir sa propre cellule familiale, quitta quelques mois plus tard le domicile de ses parents pour sa propre cellule. Ce fut alors la première anomalie de Jack, lui qui était si conformiste, il s’étonna de la vie en solitaire, tandis qu’il avait été entouré, depuis toutes ses années, de son père et de sa mère. Mais il s’y habitua aussi, redoublant d’efforts au travail, afin que l’erreur fatale du nouveau Dépositaire ne transpire pas sur sa bien aimée Alavus.

De même, il lui fallu encore de longs mois (deux ans, en réalité), pour se décider à faire une demande de conjointe. A cet âge là, les membres de la communauté avaient généralement déjà non seulement un ou une conjointe, mais aussi les enfants qui vont avec la parfaite cellule. Pourtant, Jack n’en avait jamais ressenti le besoin. Il y a réfléchi, pourtant, suffisamment longtemps pour que cela soit souligné, mais n’arrivait pas à comprendre en quoi demander une conjointe l’aiderait à améliorer son travail. Mais il fini finalement par s’y résoudre, histoire de donner l’exemple, car n’est-ce pas le travail d’un Sage ?

Sa demande fut acceptée, et le changement ne fut pas, finalement, très choquant. Ormis les périodes de repas, ils ne se voient presque pas. Jack ignore tout d’elle et cela ne l’intéresse pas. La cellule familiale n’est pas là pour faire connaissance, tout de même…

Et puis, vint enfin l’année 638. L’année où Jack eut à prendre l’une des décisions les plus compliquées de sa carrière. L’année ou les rebelles détruirent la barrière. Il avait pour l’élargissement, bien évidemment, comme les autres sages. Mais une partie de lui avait eu beaucoup de mal à accepter sa propre décision.