Gouvernement et Résistance

 Le gouvernement est la clé de l’ordre. Sans lui, Alavus ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Le gouvernement à lui seul a su instaurer la paix dans la ville. Les lois, aussi strictes soient elles, permettent une bonne entente et un respect entre les individus, au sein de la communauté. Il est nécessaire, afin de garder un parfait équilibre, de conserver cette égalité que veut et impose le gouvernement.

Composé de dix sages,  avec le respect exact de la parité hommes/femmes, le comité des Sages s’est vu mis en place dès la création d’Alavus. Leur but étant de conserver un signe distinctif du pouvoir tout en permettant à la communauté d’être impliquée directement dans la prise de décision. En effet, si le comité des Sages sert principalement à voter de nouvelles lois qui rendront la vie en communauté encore meilleure, ce sont en réalité les citoyens qui soumettent leurs projets de loi. Cependant, le parcours de ce projet est long : il faut plusieurs mois voire plusieurs années avant que les Sages décident enfin de traiter le cas et de voter. Ils doivent, avant toute décision, consulter le Dépositaire de la Mémoire. Lui seul peut savoir si cette décision avait été prise ou non dans le passé et les conséquences qu’elle avait apportée dans le monde. Il donnera ensuite sa bénédiction ou non aux Sages qui procéderont au vote. C’est pourquoi l’acceptation d’une nouvelle loi est si difficile et périlleuse : il est rare que le dépositaire donne son accord.

Outre les lois, le gouvernement se charge aussi de la sécurité et de la surveillance d’Alavus, afin que la communauté respecte les règles et vive dans les conditions les plus favorables au bon développement de chaque citoyen. Des caméras, implantées un peu partout dans les rues et bâtiments publiques, obligent chacun à respecter les règles de la communauté à la lettre, sous peine de représailles. Ce sont les Sages et eux seuls qui décident si un citoyen doit être seulement rappelé à l’ordre ou s’il doit passer devant un juge. La sanction peut être fatidique : si un élargissement doit être effectué, il n’y a pas de retour en arrière. Cette punition doit cependant s'appliquer lorsqu'elle est vraiment nécessaire. Il y a quatre ans, lorsque la barrière est tombée par exemple, le comité n'a pas eu d'autre choix que d'élargir tous les rebelles, ils menaçaient trop la communauté. Et de nos jours, les Sages ne sont pas sans savoir qu'une autre rébellion se prépare. Quelques attaques ont déjà été lancées contre le gouvernement, minimes, mais assez pour renforcer tout le réseau de la communauté. Ils savent que quelque chose se prépare, si seulement ils savaient quoi.

De plus, chacun sait qu’il est difficile de se mettre d’accord lors d’une assemblée, surtout lorsqu’elle est peu nombreuse et qu’elle possède un nombre pair, une personne se distingue parmi tous les sages. Nommée la Grande ou le Grand Sage, cette personne est réélue chaque fois qu’un membre du comité des Sages a atteint l’âge de rejoindre la maison des Anciens. Ce sont tous les Sages qui élisent directement la personne qu’ils pensent la plus apte à endosser ce rôle. Dès lors, le Grand Sage permettra de trancher lors d’égalité de décision. Il sera aussi la figure emblématique de la communauté, le visage et le nom que chacun se doit de connaître. C’est lui qui dirigera les cérémonies de décembre, lui qui ira directement faire les remontrances lors du non-respect des règles. Le Grand Sage a probablement le rôle le plus important de toute la société, il est le seul à vraiment se démarquer et pour cause : il représente à lui seul Alavus.

Les rebelles n’ont pas toujours existés à Alavus, loin de là. Pendant plus de six cents ans, la communauté s’est développée et a prospéré dans le calme le plus complet grâce à la barrière qui retenait les souvenirs et aux injections qui supprimaient tous les sentiments incompatibles avec la paix que voulaient les Sages. Lorsque la dernière Grande Sage fut élue, tout était encore parfaitement normal. Chaque habitant était réparti dans les différentes classes de métiers selon ses capacités. On observait les enfants, les jugeait, et le gouvernement faisait ensuite en sorte qu’ils trouvent la place qui leur était destinée au sein de la société. Sans jalousie, sans égoïsme, les vies des citoyens étaient toutes pour ainsi dire identiques. Seul leur incombait le choix de créer une cellule familiale, de prendre un partenaire et des enfants, ou non.

C’est en 627 que le sort des citoyens d’Alavus bascula : le nouveau Dépositaire de Mémoire, accablé par ce qu’il avait vu dans les souvenirs de l’humanité qu’on lui avait transmis, quitta la communauté. Au moment où il franchit la barrière, celle-ci, affaiblit par son départ, laissa rentrer de nombreux souvenirs. Chaque habitant eu le sien, au cours d’un rêve, pendant qu’il mangeait ou encore qu’il partait au travail. C’est à partir de là que tout commença.

Déboussolées par ce qu’elles avaient vu, certaines personnes commencèrent à se poser des questions à chercher et à fouiner dans les affaires du gouvernement. Nombreux furent élargis, mais au lieu de calmer la population comme l’avaient espéré les Sages, ces disparitions attisèrent le feu de la rébellion. Peu à peu, des hommes et des femmes se soulevèrent et se déclarèrent rebelles. Pas au grand jour, non, ils savaient que s’ils étaient découverts, ils perdraient tout, mais la résistance se mit en place au sein d’Alavus avec à sa tête, deux leaders, qui menèrent les opérations. Sept ans plus tard, à force de travail et de sacrifices humains, la barrière céda, définitivement cette fois. La protection détruite, tous les souvenirs de l’humanité rentrèrent dans Alavus et avec eux, un nouveau vocabulaire qui était jusque-là inconnu. Petit à petit, une immense palette de couleurs s’épanouit devant les yeux des habitants les plus ouverts d’esprits.

Cependant, la Grande Sage ne perdit pas un instant et entama aussitôt une véritable chasse aux sorcières. Tous les rebelles furent capturés un à un, puis élargis, les deux leaders y compris. La rébellion fut détruite, du moins en apparence. Quelques mois passèrent sans que personne n’ose reprendre les opérations. Mais au fur à mesure que les jours, les semaines et les mois passèrent, de plus en plus d’habitants ouvrirent leur esprit aux souvenirs toujours présents dans la communauté et ainsi, la nouvelle génération prit le relais. Les rebelles arrêtèrent de prendre leurs injections comme leurs aînés avaient fait avant eux et la résistance fut reformée avec à sa tête cette fois, trois leaders.

Aujourd’hui, quatre ans après la destruction définitive de la barrière, la rébellion est de nouveau sur pied, plus forte que jamais et bien présente dans la communauté. Les rebelles multiplient les attentats afin de faire parvenir des messages aux citoyens d’Alavus : cette communauté n’est pas aussi idyllique qu’on veut bien leur faire croire. Ils sont convaincus qu’au-delà des barrières de la ville, il existe un monde comme dans leurs souvenirs où il est possible de reconstruire et de recommencer autre chose que cette société où chacun doit suivre les règles. Ils ont envie de couleurs, de bonheur, d’amour, de guerre si cela est nécessaire, mais en tout cas d’une vie qui ne leur est pas dictée de leur naissance à leur mort. Tous n’ont cependant pas rejoint la rébellion et certains préfèrent lutter de leur côté contre le gouvernement.